13 lei pour Istanbul

Publié le par Asty

Bucarest - Istanbul, 23 heures. Après avoir parcouru foule de pays en ce mois d'août, je me retrouvai à la gare de Bucarest pour mon dernier voyage "aller" : un trip jusqu'à Istanbul, à travers la Roumanie Sud, la Bulgarie et le morceau de Turquie arrimé à l'Europe.

Départ prévu 12h30, arrivée prévue le lendemain à 08h30. Suivant mes habitudes, je m'étais muni pour ce dernier voyage de mon seul billet Interrail et de mon backpack, étant entendu que toute réservation de train me paraissait relever d'une facilité bien étrangère à mon état d'esprit. Mal m'en a pris, évidemment.

Je débarque dans la gare quinze minutes avant le départ du train, le temps d'acheter un gros sandwich et une bouteille d'eau. Je cours le long des wagons, en observant les plaques de ceux-ci : "Bosfor Express - Istanbul Sirkeci", "Sofia", "Dimitrovgrad", "Beograd"... et je vous épargne les villes dont le nom s'écrit en cyrillique. Je tente de monter dans le Bosfor express, mais me fais refouler parce que je n'ai pas de réservation, que c'est full et que je peux même pas tenter le bakchich pour avoir une place dans un couloir, vu que j'ai environ 13 lei sur moi (l'équivalent de 4 euros). Le contrôleur m'indique toutefois que je peux monter dans le train pour Dimitrovgrad, et qu'il faudra que je change quand on aura atteint la ville. J'y monte, m'assois, et déplie ma petite carte interrail d'Europe. Et là, surprise : il y a deux Dimitrovgrad : le premier se trouve bien sur la route d'Istanbul, à une sorte de noeud ferroviaire en Bulgarie. Le second se trouve à la frontière de la Bulgarie et de la Serbie, sur le chemin de Beograd. Le train que je prends va vers Istanbul et vers Beograd... Petite inquiétude donc. J'envoie un sms à mon frère pour lui demander un peu de soutien, il regarde sur internet et m'indique que le Dimitrovgrad en question est bien celui d'Istanbul.

Rassuré je commence la petite sieste, écourtée rapidement par la contrôleuse de billets et par ma collègue de compartiment qui tentent de m'expliquer, dans un bulgare-roumain-anglais (surtout bulgare d'ailleurs) que si je veux aller à Istanbul, je dois quitter le wagon immédiatement. Je leur demande plusieurs fois si elles sont sûres... et le sont. Je traverse à nouveau tout le train, un peu inquiet, et me rend dans le wagon couchette du début. Le contrôleur qui m'avait viré au début m'expliquer sympathiquement que je peux rester, qu'il a de la place... et me demande 25 euros pour la couchette. Je lui montre mes 13 lei, il réprime un tic nerveux (le fameux tic qui veut dire "toi tu m'emmerdes") et me dit "no problem, you'll get cash when we'll be in Bulgaria". Le plan est le suivant : au premier arrêt, en Bulgarie, j'aurais 15 minutes pour détaler dans la ville, à la recherche d'un bankomat, afin de pouvoir le payer. Il me dit que je pourrais faire ça à Dimitrovgrad justement, aux alentours de 23 heures 30. J'ai donc plusieurs heures devant moi, je m'allonge seul dans un compartiment.

La chaleur est terrassante, mais heureusement, les vitres sont grandes ouvertes, et c'est dans une étuve aérée que je peux faire ma sieste, cette fois-ci plus longtemps, complètement assommé par la chaleur, par les restes d'Ursus (bière roumaine) du soir précédent et par les périgrinations de ce début de journée. Un homme se pose en face de moi et m'imite dans la sieste...

Arrivée en Bulgarie, poste-frontière et vérification des passeports, re-sieste, puis environ une heure plus tard, le contrôleur me réveille, m'expliquant qu'on va s'arrêter dans une ville bulgare, qu'il y a sûrement un bankomat et que je pourrais donc le payer. Je sors, sans mon sac, et je cours pour trouver un bankomat... je fais trois rues à la vitesse de l'éclair, contournant les matelas et pneus brûlés, les poules qui se baladent sur la route et les gamins qui jouent au cerceau... Il n'y a évidemment pas de bankomat, je retourne donc dans le train tout aussi vite et l'indique au contrôleur, qui me dit que c'est pas grave et que je retenterai à la ville suivante (il faut dire qu'il a du voir que j'adorais ça, courir comme un dératé de peur de voir le train partir sans moi). Il vient en fait me chercher dix minutes plus tard, m'emmène dans la gare, dans laquelle il y avait un bankomat, je tire des sous, le paie, et il prend un peu de l'argent que je lui donne pour nous acheter des bières chez l'épicier local, qu'on boit en riant à notre retour dans le wagon....

Le train reprend sa marche, avec moi dedans, me disant qu'il ne pourra déjà plus m'arriver grand chose. Ma couchette se trouve dans un compartiment que je partage avec trois mamies roumaines dans le genre piplette, et dont l'une a voyagé il y a 20 - 25 ans en France qui peut donc me dire "Comment ça va ?" environ 300 fois jusqu'à la tombée de la nuit. Je passe l'après-midi et la soirée à discuter avec l'homme qui était avec moi dans le compartiment. Il s'appelle Brandon, il est américain et travaille en Roumanie dans une ferme complètement paumée... Il apprend le magyar, parle déjà bien roumain. A un arrêt en Bulgarie, un gamin nous propose d'aller nous acheter des sandwiches et de l'eau fraîche (il faut dire qu'avec les 35 degrés, j'ai déjà vidé mon litre et demi d'eau en trois heures). On accepte, il y va et nous ramène des sandwiches à moitié pourris et de l'eau... On le paie 4 lei (le prix qu'il nous avait indiqué au début), mais il refuse de nous donner la nourriture promise, car il considère que ça coûte plus cher... Je finis par vider mes 13 lei et lui explique après que j'ai "no money". Le train démarre, il nous jette finalement le sandwich dégueulasse et l'eau dedans.

Le soir arrive, je suis posé dans mon lit et m'endors pendant que les mamies jactent. On arrive à Dimitrovgrad, le train s'arrête trois heures pour attendre le Bosfor Express en provenance de Belgrade qui doit s'arrimer à notre train. Il fait genre 200 degrés dans le compartiment, qui n'arrive pas à se refroidir malgré l'air frais qui entre par la fenêtre.
Cinq heures du matin, réveil en fanfare : frontière bulgaro-turque. Pour ceux qui ont déjà pris le train pour aller en Turquie, cet endroit est connu : Kapikule. Tout le monde doit sortir du train, présenter le passeport, éventuellement payer le visa, remonter, se refaire contrôler, puis repartir : 1h30 d'arrêt. Pour moi, ce sera un nouveau coup de stress : tout le monde me dit qu'il faut payer dix euros le visa pour la Turquie, alors que j'étais sûr que c'était gratuit. Je n'ai évidemment plus un lei roumain, plus un dinar serbe, plus une couronne tchèque, plus d'euro bref rien... Je sors donc du train, et tente de trouver un bankomat au poste-frontière... Il n'y en a évidemment pas. Je demande à l'un des douaniers comment faire. Il hausse les épaules, rit un bon coup puis me dit qu'il en sait rien, il a même l'air de s'en foutre royalement. Dans ma tête, les images se bousculent : je me vois en train de dormir au poste-frontière et attendre le train du lendemain, coincé pour dix malheureux euros. Le douanier me demande finalement d'ou je viens, je lui réponds "de France", et il prend le regard "père vers enfant de trois ans" en me disant "no visa for you". Mon passeport est tamponné, je remonte dans le train.

Huit heures, le jour se lève, les mamies roumaines avec. Je sors du compartiment, et je me mets à la fenêtre. Les premières visions de Turquie sont un peu décevantes : le paysage est extrêmement aride et poussiéreux, oscillant entre le jaune sécheresse et le gris rocailleux. Le train a quatre heures de retard, l'attente commence à devenir longue même si on reprend la discussion avec Brandon : il fait faim et j'ai envie d'arriver du côté du Bosphore. Le sentiment que le voyage est interminable est encore amplifié par le fait qu'Istanbul est tentaculaire et qu'on entre en train dans l'agglomération environ une heure avant d'arriver à la gare. Le train arrive finalement à Sirkeci : une gare assez minuscule qui est le terminus de l'Europe pour encore quelques années (d'ici pas longtemps, le tunnel reliant les rives européennes et asiatiques de la ville sera terminé : Istanbul deviendra donc un point de passage plutôt qu'un terminus. Je descends, j'échange les numéros avec Brandon pour boire un verre dans la semaine, et m'enfonce dans la ville pour trouver l'hotel, profitant de ces premiers instants, ambiance "première rencontre" avec le bout du bout du continent européen et sa ville lumière, sa ville phare, maîtresse du Bosphore...

Publié dans Vagabond

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article
J
Ce premier poste est très plaisant...je suivrai ces aventures avec enthousiasme...
Répondre
L
Bienvenue à Guillaume "Asty" Daudin qui va nous faire profiter de sa curiosité et de ses talents sur le blog !
Répondre