Pachamama (1)

Publié le par Henito

Aïe, aïe, laeticia… elle va me manquer ! Les yeux enfoncés dans les orbites, il n’arrive plus à retenir ses larmes et préfère épargner Jeannot d'un spectacle gênant en se réfugiant dans les toilettes. Quand Fernando ressort de son refuge, sa silhouette et ses mouvements témoignent d’une grande faiblesse attendrissante. Les larmes versées ont dû finir de dessécher son corps.
Une fois assis, les émotions rassemblées, il entame sans prévenir une rétrospective de son existence à voix haute. Jeannot, légèrement distrait par les longs cheveux noirs de son interlocuteur mélancolique, s’efforce de prendre sa posture d’oreille attentive. Au fil de la longue confidence, Jeannot retient certains mots – abandon des études, drogue, décadence, vol, deal, désintoxication, nouvelle vie, voyage, rencontres… – et réinterprète la vie de Fernando. Imprégné d’images de films sur l’obscure et violente Amérique Latine ( Cidade de Deus, Ser mexicano es un orgullo pero…ser de Tepito es un don de Dios…), il imagine un parcours chaotique et passionné, jonché d’injustices et de drames. Heureusement, le récit de Fernando se termine sur une note autrement plus positive que les films du genre : il se dit changé, sa volonté s’est renforcé, ses parents lui refont confiance, il ne travaille pas trop et réalise ses rêves.

Je n’ai rien, et pourtant je vis dans l’abondance !
Pendant ses deux ans passés en Colombie et depuis lors, il s’est levé tous les matins sans un sou en poche. Et tous les soirs, il s’est couché repus et heureux. Chaque jour est une histoire différente, pleine de surprises, et rien ne subsiste jusqu’au lendemain. Réconcilié avec lui-même, Il se met à se préoccuper pour ses parents. Cette liberté, cette absence de manque dont il jouit, il regrette qu’eux en soient privés.
Moi qui ne fais rien pour, je ne manque jamais de rien, alors que mes parents se laissent se faire exploiter, se tuent à la tâche sans jamais satisfaire leurs besoins.
Fernando explique au suisse qu’il voudrait enseigner à ses parents qu’ils n’ont pas besoin de portable pour garder contact, de voiture pour se déplacer ni d’appareils photo pour profiter du paysage.
Fumant du bout des lèvres et sirotant son rhum mauvais-mais-péruvien, il continue de développer les aspects épanouissants de sa nouvelle vie : sa sérénité nouvelle, les compagnons de voyage de toutes les nationalités, tous les pays du continent qu’il a visité, les expériences uniques en tout genre, les aventures sexuelles hors du commun… Cette exhaustivité devient presque politique aux yeux de Jeannot. Il doit encore avoir du mal à l’assumer, sûrement vis-à-vis des sacrifices de ses parents, et cherche en conséquence à justifier son choix, songe-t-il.
Alors qu’il en est au chapitre du formidable réseau de ses pairs artisans voyageurs, il mentionne un certain Patrick qui, sédentarisé, s’évertuerait à ramasser les déchets accumulés
dans un désert non loin de là. Jeannot réagit sur-le-champ, s’il y a un désert pas loin, pourquoi ne pas y aller ! La décision était prise : le départ est prévu pour le surlendemain.

Il a fallu plus de quatre heures pour arriver à Ica. La nuit est déjà bien avancée. Fernando connaît bien la ville, mais malgré tout, ils 
rebroussent chemin à plusieurs reprises. Il n’était pas revenu depuis le séisme du 15 août, et la plupart de ses points de repère ne sont plus que des tas de gravas et de détritus. La marche est pénible avec les gros sacs dans le dos, l’air trop sec quasi irrespirable tant il est chargé de poussière des décombres et de sable du désert.
Après une courte nuit dans un hôtel douteux, un copieux petit déjeuner de poulet-riz et une nouvelle longue marche, les deux nouveaux acolytes hèlent une mototaxi qui les emmène pour quelques soles à la lagune de Huacachina, aux portes du désert.     


A suivre.

 DSC04083.JPGRuines d'un centre commercial, Ica.
 



Publié dans Psyché

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M
Hen hen, c'est du très bon tout ça... tellement plaisant à lire, ça se savoure et ça me donne bien envie de partir sur les traces des gitans de ce continent... aie aie aie !
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